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L'habitabilité du logement est-elle une condition de la réception et de la garantie décennale ?

Publié le : 13/12/2024 13 décembre déc. 12 2024
Source : www.courdecassation.fr
Par un arrêt du 19 septembre 2024, la cour de cassation rappelle au visa de l'article 1792-6 du code civil que "la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement".

La Cour rappelle que lorsqu’elle est demandée, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, c’est-à-dire, pour une maison d’habitation, à la date à laquelle elle est habitable, sans qu’importe la volonté du maître de l’ouvrage de la recevoir (3e Civ., 30 juin 1993, pourvoi n° 91-18.696, Bull. 1993, III, n° 103 ; 3e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-26.090, Bull. 2016, III, n° 159 ; 3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 15-27.802, Bull. 2017, III, n° 112).

Alors que le constructeur et le garant sollicitait de la cour d'appel de fixer la réception à la date du 9 janvier 2014, les juges le refusent car les maîtres de l’ouvrage n’avaient pas été convoqués à réception.

La cour de cassation sanctionne les juges du fond au motif que l'absence de convocation à la réception n'est pas un obstacle à la réception judiciaire : les juges devaient rechercher, comme il leur était demandé, si, à la date du 9 janvier 2014, la maison était habitable et, ainsi, en état d’être reçue.

Il est cependant précisé que dans l'hypothèse d'un abandon de chantier, l'habitabilité du logement n'est pas une condition de la réception : les juges doivent rechercher si le maître de l'ouvrage a accepté de le recevoir sans équivoque et en a payé le prix.

Ainsi, dans un arrêt du 6 juin 2024, la cour de cassation, au visa toujours de l'article 1792-6 du code civil rappelle que la réception de l’ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter cet ouvrage est établie. L’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une condition de la réception (3eCiv., 11 février 1998, pourvoi n° 96-13.142, publié), un ouvrage non achevé peut être réceptionné tacitement dès lors qu’est caractérisée la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux en l’état où ils se trouvaient à la suite d’un abandon de chantier.

La cour de cassation sanctionne les juges du fond pour avoir déclaré recevables les demandes indemnitaires du maître de l’ouvrage fondées sur la réception tacite et les rejeter, au motif que la reconnaissance de la réception d’un ouvrage inachevé suppose, soit un accord exprès passé sans fraude entre les parties, soit, à défaut, l’existence d’un ouvrage suffisamment avancé pour être utilisable conformément à l’objet pour lequel il avait été réalisé. Or, les juges avaient relevé que selon le rapport d’expertise judiciaire, les réalisations de la société IDBTP étaient réduites par rapport aux sommes que celle-ci avait encaissées et que le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires ne pouvaient pas entrer dans les lieux, de sorte que ces circonstances étaient incompatibles avec une réception par le maître de l’ouvrage.

La cour de cassation casse l'arrêt : En statuant ainsi, alors que la réception tacite par le maître de l’ouvrage d’un immeuble d’habitation n’est pas soumise à la constatation par le juge que cet immeuble est habitable, la cour d’appel a violé le texte susvisé.


Cette position était déjà connue par un arrêt du 30 juin 2016, n° 15-17.789  :

Mais attendu qu’ayant retenu exactement que l’article 1792-6 du code civil n’excluait pas la possibilité d’une réception tacite lorsqu’est manifestée une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter celui-ci, même en l’absence de paiement du solde du prix et en présence de travaux inachevés, et souverainement, sans dénaturation, que Mme Q… avait manifesté auprès de l’EURL, dans sa mise en demeure du 5 février 2010, sa volonté de prendre possession de l’ouvrage abandonné en précisant qu’à défaut de reprise dans quinze jours, un huissier constaterait l’abandon de chantier et que l’EURL ne sollicitait pas le paiement de travaux, la cour d’appel a pu fixer la réception de l’ouvrage au 24 février 2010 

Dans cet arrêt, le maître d’ouvrage avait payé les 2/3 du marché. Les travaux de second oeuvre n’avaient pas été réalisés, la maison était donc inhabitable. Il se produit un affaissement du plancher après abandon :

La cour d’appel, confirmée par la cour de cassation, avait jugé ( CA Saint-Denis de la Réunion, 9 janv. 2015, n° 12/02322):

Il ressort du marché du 5 décembre 2008 que l’E.U.R.L. A I avait à sa charge le gros-oeuvre béton et les maçonneries, la structure bois avec l’ossature, le bardage, le plancher des combles et la charpente, la couverture de la toiture, la plomberie, l’électricité, les revêtements de sol et les travaux de peinture, F Z conservant de son côté la charge du terrassement, des menuiseries intérieures et extérieures et des aménagements extérieurs dont les clôtures.

Au moment de la rupture, l’E.U.R.L. A I n’avait pas installé l’électricité et la plomberie ni effectué les revêtements de sols et les peintures. Si, selon l’expert, l’ouvrage était alors impropre à sa destination, ces défauts d’achèvement étaient connus de F Z, en témoigne sa première mise en demeure du 21 décembre 2009, si bien qu’ils ne peuvent pas relever de la garantie décennale.

L’expert a également constaté, au-delà des non-façons, de graves désordres tenant à une structure sous-dimensionnée. Le procès-verbal de constat d’huissier du 21 mai 2010 (postérieurement à la réception de l’ouvrage) avait permis de constater que 'les poutres apparentes soutenant le plafond de la chambre donnant sur la varangue présentent un fléchissement'. L’expert X confirme que ces poutres présentent 'de grandes déformations’ et estime que 'la structure ne répond pas aux conditions réglementaires de résistance mécanique'.

Le fait que F Z ait modifié le permis de construire courant février 2010 pour pouvoir aménager les combles ne change rien à cette constatation.

Il en résulte, selon l’expert et suivant des préconisations qui n’ont été contestées par aucune des parties, la nécessité :

— de la dépose et du remplacement du solivage et du plancher des combles,

— de la dépose et de la repose du bardage dans les règles de l’art,



La solidité de l’ouvrage se trouve ici affectée et F Z n’en a eu connaissance que postérieurement à la résiliation du marché, si bien que la garantie décennale doit trouver à s’appliquer.


L'habitabilité du logement n'est pas une condition de la réception lorsque le chantier est abandonné. il est vivement conseillé au maître de l'ouvrage de convoquer l’entreprise aux opérations de réception en cas d’abandon de chantier. Cela lui permettra d’actionner la garantie décennale du constructeur dans l'hypothèse de désordres rendant ceux des ouvrages, payés et réalisés,  impropres à leur destination. D'autant que le maître de l’ouvrage d’une maison individuelle est profane, et qu’il n’est pas censé connaître les vices affectant les ouvrages réalisés.
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